Pour toi, les violeurs ne sont pas des « monstres » ? Que sont ces connards qui méritent de souffrir dans ce cas ? Comment peut-on encore les considérer comme des « êtres humains » (surtout de part de féministes) ?
Bonjour,
J’imagine que cette question fait suite à cette réponse, ou peut-être à d’autres propos publics que j’ai pu avoir, et où je disais à peu près la même chose : les violeurs ne sont pas des « monstres ».
Je comprends tout à fait que cette phrase puisse choquer, et effectivement peut-être qu’elle choque encore plus venant d’une personne qui se dit féministe. Je vais donc essayer de préciser mon propos. Déjà, quand je parle de « monstres », c’est dans le sens de la définition que l’on retrouve par exemple sur Wikipédia : des « individu[s] […]dont l’apparence, voire le comportement, surprend par son écart avec les normes d’une société ».
Or, malheureusement, le viol n’est pas réellement un acte à l’écart des normes de la société. Il l’est en théorie, puisque c’est illégal de violer quelqu’un⋅e, et qu’il existe des sanctions prévues contre les personnes qui s’en rendent coupable. En théorie toujours, TOUT LE MONDE rejette avec force le viol, dit que c’est « mal », que les individus qui commettent des viols sont horribles, méchants, monstrueux, justement. En pratique, ce sont très souvent les victimes/survivant⋅e⋅s qui se trouvent accusé⋅e⋅s (de mentir, d’exagérer…) dès lors qu’il ne s’agit pas du « viol parfait » tel qu’on se le représente encore très souvent, c’est à dire commis par un inconnu, dans la rue, la nuit. Ces viols existent, mais ils sont extrêmement minoritaires par rapports à ceux commis par des personnes connues voire proches (ami⋅e⋅s, conjoint⋅e⋅s, famille…) et au domicile.
La personne victime/survivante se voit souvent accusée (surtout si c’est une femme) d’avoir « cherché » (par sa tenue vestimentaire, par son attitude) ce qui lui est arrivé. On lui reprochera de ne s’être pas assez défendue, débattue, en passant outre le phénomène désormais bien connu de sidération, qui réduit au silence et/ou à l’immobilité dans une situation de peur intense (comme le viol). Si une femme est violée alors qu’elle avait consenti plus tôt dans l’acte, on considérera souvent que ce n’est pas un « vrai viol ». Idem s’il s’agit de son partenaire, ou pire, de son mari. Médiatiquement, on lit encore très souvent des faits de violence sexuelles traités comme des faits divers, voire comme des anecdotes humoristiques. C’est sans doute pour ça que seule une infime partie des victimes/survivant⋅e⋅s porte plainte. Et parmi ces plaintes, très peu débouchent sur des condamnations, et un grand nombre est requalifié en agression sexuelle (passage devant un Tribunal correctionnel au lieu d’une cour d’Assises). Il y a, dans la réalité des faits, une tolérance plutôt très importante vis-à-vis du viol, et oui, même en France.
On estime qu’il y aurait 75 000 viols et tentatives de viol en France chaque année. 1 femme sur 10 sera violée dans sa vie. Ce ne sont pas des chiffres anecdotiques. Ce ne sont pas des cas isolés. Le viol c’est horrible. C’est un acte intentionnellement malveillant d’une personne sur une autre, un acte de violence, de mépris, de terreur qui touche à la vision que l’on peut avoir de soi, de l’intimité, et du rapport aux autres de manière générale. Bien sûr qu’on a envie de se dire qu’il faut être « monstrueux » pour commettre un viol, « malade ». On veut se dire que les personnes qui violent sont des exceptions, des raretés, des gens « pas comme nous », en somme. On aimerait bien faire passer ça sur le compte de la maladie mentale, comme pour se dire que ces personnes seraient incapables de se maîtriser. Mais 90 % des violeurs ne présentent aucune pathologie mentale, et l’immense majorité des personnes présentant des pathologies mentales (dépression, bipolarité, trouble de la personnalité borderline, schizophrénie, etc) ne sont pas dangereuses pour autrui.
De quoi s’agit-il alors? D’une violence exercée dans l’immense majorité des cas par des hommes, et qui trouve concrètement une condamnation (légale et/ou sociétale) plutôt faible. Le viol, ou plutôt la culture du viol, est un problème de société, et les violeurs ne sont pas des individus à la marge de notre société, ils en sont le pur produit. Ils sont le produit d’une société où l’on excuse leurs comportements, fussent-ils criminels, en examinant celui de leurs victimes. Ils sont le produit d’une société où on éduque les garçons à se réaliser dans leur « virilité » en s’exprimant par la violence, en l’exerçant sur d’autres. Ils sont des pères, des frères, des fils, des maris, des compagnons, des potes. Et, oui, ils sont des êtres humains. C’est un constat inconfortable et douloureux, mais il n’en est pas moins vrai.
Comme l’ajoute @calamity_lise, en traitant les violeurs de « monstres », on les déshumanise, on sous-entend qu’ils ne font pas partie de l’espèce humaine, ce qui peut être vu comme une sorte « d’excuse », qui dédouanerait les hommes de s’interroger sur leur relation aux femmes, puisque ces problématiques et violences ne concerneraient pas les hommes mais seulement les « monstres ».
Tu dis qu’ils « méritent de souffrir », et je comprends qu’après avoir été victime/avoir survécu à un viol, on aie cette pensée, cette envie. Évidemment. Comme Despentes l’écrit si bien, notamment dans « King Kong Théorie », on peut sentir une rage incroyable, visualiser des scénarios de vengeance sanglants. Évidemment. Et personne ne peut contester la légitimité de cette colère. Reste la question de : à quoi cela servirait-il de les faire/les voir souffrir? On entend souvent des gens souhaiter à un violeur de se faire à son tour violer en prison, par exemple. Mais est-ce que cela soulagerait la victime? Probablement pas. Est-ce que cela lui permettrait de comprendre la gravité de ses actes? J’en doute. Est-ce que cela l’empêcherait de recommencer une fois sorti de prison? J’ai tendance à penser le contraire.
Alors voilà. Oui, je suis féministe. Oui, je lutte contre le viol, à ma toute petite mesure. En recueillant la parole de victimes/survivant⋅e⋅s, en les orientant. En dénonçant les traitements médiatiques, politiques ou sociétaux de la question qui me semblent participer à la fameuse « culture du viol », qui rendent le sujet trivial ou anecdotique. En réfléchissant, en débattant, en transmettant autour du consentement, de la construction de la virilité, du sexisme…
Mais je ne pense pas que les violeurs sont des monstres.
J’espère avoir pu répondre à ta question.
Merci à Valérie, Kim et celleux qui m’ont aidée et corrigée sur cette réponse.
Cette réponse existe grâce au soutien de @Bach_kun sur Tipeee. Merci beaucoup!
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